- ANGLO-NORMANDE (LITTÉRATURE)
- ANGLO-NORMANDE (LITTÉRATURE)ANGLO-NORMANDE LITTÉRATUREL’anglo-normand est la variété de français parlée et écrite en Angleterre du XIIe au XIVe siècle inclus. Après la conquête de l’Angleterre par Guillaume de Normandie (1066) et l’avènement des Plantagenêts (1154), le français vint s’ajouter au latin et à l’anglais. Le latin de l’Église et de ses clercs était la langue internationale, importante; le français venait en second: les moines au XIVe siècle utilisaient le latin, les moniales le français; l’anglais ne trouva son statut de langue plus ou moins officielle qu’au XIVe siècle. Alors que John Gower (1330-1400) écrit encore ses trois poèmes majeurs l’un en latin, l’autre en français (Mirour de l’omme ), le troisième en anglais, Geoffrey Chaucer (1340 env.-1408), après de probables poésies brèves en français, écrit toute son œuvre en anglais.La littérature anglo-normande est généralement versifiée, en octosyllabes à rimes plates (Brendan , Tristan ). La versification, syllabique donc, a subi l’influence de la prononciation de l’anglais à accent principal énergique. Il ne faut pas oublier, en effet, que la plupart des textes médiévaux étaient produits pour être lus à haute ou à mi-voix.La littérature religieuse est la plus abondante. Dès le XIIe siècle, on traduisit Li IV Livre des Reis, et Samson de Nanteuil donna les Proverbes de Salomon . On traduisit plusieurs fois, en prose et en vers, les Psaumes et l’Apocalypse. Ces traductions donnent le texte suivi ou accompagné d’un commentaire. On peut rapprocher de ces traductions bibliques les traductions-adaptations des Distiques de Caton , de la Consolation de la philosophie de Boèce, du Secret des secrets attribué à Aristote. Les sermons et traités de morale religieuse – les deux genres se confondant souvent – furent d’abord rédigés par des bénédictins (Guichard de Beaulieu) ou des chanoines augustins, mais surtout, dès la fondation de leurs ordres au XIIIe siècle, par des dominicains et des franciscains. Ceux-ci contribuèrent à l’application des décisions du IVe concile du Latran (1215). Ils multiplièrent les guides spirituels. En France, les dominicains tinrent la vedette, en Angleterre ce furent les franciscains. Le franciscain Robert Grosseteste (1173 env.-1253), après des études à Paris, devint le premier chancelier de l’université d’Oxford puis l’évêque du plus grand diocèse d’Angleterre, Lincoln. Sa science, son œuvre, son orthodoxie sont d’une ampleur considérable. Il écrivit en français quelques allégories, dont le fameux Château d’amour évoquant les vertus de la Vierge. L’œuvre de Thomas de Hales (Hailes dans le Gloucestershire) illustre la répartition des trois langues: il écrit ses traités de théologie en latin, il prêche en français, il écrit ses poèmes mystiques en anglais. Pour les sermons, l’anglais avait le désavantage d’être morcelé en dialectes: Samson, abbé de Bury Saint Edmunds, s’obstinait à prêcher dans son anglais du Norfolk, difficile à comprendre pour des ouailles du Suffolk; l’anglo-normand, de plus en plus artificiel, échappait à ce défaut.Les sermons et les guides spirituels illustrent leur propos de brefs récits, tirés de livres ou de l’actualité: les exempla . Ce principe a donné deux œuvres remarquables: le Manuel des péchés, anonyme, vers 1270, et les Contes moralisés , écrits par le franciscain Nicole Bozon entre 1320 et 1350.Moines, comme le bénédictin de Saint-Albans Matthieu Paris (XIIIe siècle), chapelains, comme Geffrei Gaimar (XIIe siècle) au service d’une châtelaine du Lincolnshire, et simples clercs, comme Wace, contemporain de Gaimar, furent souvent invités à rédiger des chroniques. Elles traduisent et reprennent des textes fondateurs, telle l’Historia de Geoffroy de Monmouth, en y ajoutant des parties sur l’histoire contemporaine. La Chronique de l’augustin Pierre de Langtoft, à la gloire d’Edouard Ier (roi de 1272 à 1307), éclate de verve contre les Écossais. C’est pour une fille de ce même Edouard Ier que le dominicain Nicolas Trevet rédigea une chronique où puisèrent les poètes Chaucer et Gower.Les deux genres les plus populaires au Moyen Âge – vies de saints et romans – souvent proches l’un de l’autre, sont bien représentés en anglo-normand. Les Miracles de Notre-Dame inspirèrent Guillaume Adgar et Evrard de Gateley. Le roi anglo-saxon, Edmond, sacrifié par les Vikings à leur dieu Odin au VIIIe siècle et devenu le saint patron de l’abbaye de Bury Saint Edmunds, le dernier roi anglo-saxon saint Edouard le Confesseur, l’archevêque Thomas Becket assassiné dans sa cathédrale inspirèrent plusieurs ouvrages. Les vies de saints fournissaient une ample matière à la lecture privée, mais aussi à la lecture au réfectoire des moines ou moniales. On retrouve dans les poèmes hagiographiques la versification des romans: Benoît de Saint-Albans (fin du XIIe siècle) écrit sa Vie de saint Thomas Becket en strophes couées, c’est-à-dire dont le troisième et le sixième vers sont écourtés.Les vies de saints étaient la plupart du temps rédigées pour satisfaire un patron – saint patron comme à Bury Saint Edmunds, patron séculier comme la reine Aelis de Louvain, épouse de Henri Ier Beauclerc, pour qui fut écrite, entre autres, la célèbre Vie de saint Brendan. D’incontestables poètes ont écrit en anglo-normand vers la fin du XIIe siècle. Marie «de France» a vécu en Grande-Bretagne: ses lais bretons, ses fables qu’elle attribue au roi anglo-saxon Alfred (mort en 899), son Espurgatoire Saint Patriz montrent quel étonnant creuset fut la cour des premiers rois anglais Plantagenêts. Thomas «d’Angleterre» et Béroul, qui s’adressent à un auditoire d’Angleterre, ont fait du Roman de Tristan un chef-d’œuvre de la littérature universelle. La vogue des romans alla s’amplifiant. À la même époque, Thomas de Kent écrivit une vie d’Alexandre le Grand, le Roman de toute chevalerie , et certains spécialistes identifient ce Thomas avec celui de Tristan . Nombre de romans anglo-normands ont en anglais leur parallèle (Haveloc ) ou leur adaptation (Ipomedon de Hue de Rotelande, Beuve de Hantone , Gui de Warewic ).Il ne reste que trois témoins du théâtre en anglo-normand, mais ils ne sont pas négligeables. Le plus ancien drame religieux français conservé est en anglo-normand: le Jeu d’Adam , composé entre 1146 et 1174. La Seinte Resurreccion a été composée peu après. De la fin du XIIIe siècle, on conserve des fragments de prologues en anglo-normand et en anglais – avec des indications scéniques en latin, comme il est de tradition.On retiendra de la littérature anglo-normande qu’elle a produit des chefs-d’œuvre (Tristan ); que, pionnière, elle fournit les premiers exemples en français de textes historiques (Gaimar), dramatiques (Jeu d’Adam ) et de prose (Li IV Livre des Reis ); qu’elle constitue un véritable carrefour entre latin et anglais, entre matières antiques et celtiques, entre Église, pouvoir et simples laïques.
Encyclopédie Universelle. 2012.